L’Etat malagasy envisage de construire une autoroute qui reliera la ville d’Antananarivo à celle de Toamasina. Une idée qui a déjà germé depuis longtemps mais dont la concrétisation tarde à venir. Récemment, le ministre des travaux publics a annoncé le début des études techniques pour une durée de six mois en vue de la réalisation de ce projet. Une telle annonce a immédiatement provoqué des discussions intenses sur les forums et les réseaux sociaux. Les avis divergent énormément mais on peut les regrouper en trois catégories.
Le premier groupe est composé des « sceptiques » qui n’y voient que du feu sous prétexte que de nombreuses promesses sont restées sans suite depuis l’avènement de ce Pouvoir, et ils n’ont pas totalement tort. Le second groupe rassemble les « négatifs » qui pensent que c’est loin d’être la priorité du moment, certains d’entre eux ne voient même en ce projet que source potentielle de conflits sociaux, d’endettement et d’autres impacts négatifs majeurs dans plusieurs domaines. Ceux qui se montrent « positifs » forment la dernière catégorie et pour qui Madagascar a plus que jamais besoin d’une infrastructure d’une telle envergure pour booster son économie.
Pour ma part, si les prises de positions des uns et des autres me semblent souvent relever de la politique politicienne, voire du populisme pour certains, il n’en reste pas moins qu’un projet de construction d’une autoroute reliant Tanà à Toamasina présente des enjeux économiques importants pour Madagascar. Mais bien évidemment, les enjeux sont également très considérables sur le plan environnemental.
Des enjeux économiques de taille
La route nationale 2 d’une longueur de 360km se fait actuellement en 7 heures de temps pour les voitures légères et un peu plus pour les taxi-brousses desservant cet axe. Ce trajet peut durer plus de 12heures pour les camions transportant les marchandises à destination ou venant du grand port de Toamasina.
L’impact positif de la nouvelle autoroute de 240 km sur le gain de temps est évident. Une aubaine pour les transitaires, les camionneurs voire les particuliers qui sont obligés de faire les va-et-vient fréquents entre ces deux grandes agglomérations pour leurs affaires inhérentes au Port. D’autant plus que le projet d’extension de cette zone portuaire de Toamasina engendrera naturellement un accroissement très significatif du trafic routier, notamment des camions lourds. Les deux projets respectivement de construction d’une autoroute et d’extension du port, surtout s’ils sont menés en parallèle, se révèlent en tout cas très cohérents.
L’autoroute garantira continuellement la fluidité de la circulation vers Toamasina qui est souvent perturbée sur la RN2 à cause des éboulements durant la saison des pluies. La dépense en carburant enregistrera automatiquement une baisse conséquente. Il s’agira enfin d’un grand chantier qu’on peut considérer comme historique pour Madagascar de par les centaines d’emplois directs qu’il va générer, sans compter des emplois créés indirectement.
Par ailleurs, si elle passe par Anjozorobe et Ambatondrazaka, cette autoroute résoudra pour de bon les calvaires endurés par les transporteurs vers le Lac Alaotra. L’état lamentable de la RN44 a toujours été décrié par les populations régionales. Les promesses de réhabilitation sont légion, mais les travaux de réhabilitation demeurent jusqu’ici sporadiques. Le temps de penser qu’un accès facile vers ce premier grenier à riz du pays signifierait une mise à mort indirecte des riziculteurs est révolu. Une telle opinion est plutôt favorable aux opérateurs véreux qui pensent entretenir éternellement une situation de monopole dans la collecte des produits agricoles qu’aux paysans producteurs.
Une réduction du nombre d’accidents sur la route nationale
Parmi les effets négatifs souvent évoqués par les anti-autoroutes à Madagascar figure le risque élevé d’accidents dû d’une part à l’état des véhicules dont la date de première mise en circulation dépasse plus d’une quinzaine d’années pour la grande majorité, et d’autre part au comportement des chauffards qui inondent nos routes nationales. Un tel risque est effectivement loin d’être négligeable. Mais la probabilité d’occurrence des accidents sur l’autoroute ira-t-elle au-delà de la fréquence actuelle des drames qui surviennent quasi-quotidiennement sur la RN2?
Les usagers de cette RN2 assistent très fréquemment à des accidents souvent mortels suite soit à une collision entre deux voitures, soit carrément au renversement des véhicules dans des ravins. La principale cause de ces malheurs vient essentiellement des caractéristiques de la route qui non seulement se distingue par ses pentes fortes, longues et sinueuses, mais surtout par sa largeur relativement étroite, inversement proportionnelle à la taille des camions à essieux multiples qui sont devenus de plus en plus nombreux à Madagascar. A cela s’ajoute une visibilité parfois très réduite à certains endroits à cause de l’existence d’une végétation dense. Une autre voie rapide vers Toamasina aura donc comme effet induit outre l’amélioration de la fluidité du trafic, la réduction du nombre d’accidents. Cette autoroute devrait ressembler à l’image ci-dessous que j’ai piquée ici.
Des impacts négatifs considérables sur l’environnement, à atténuer
De nombreuses études d’impacts environnementaux relatives à la construction d’une autoroute ont montré des effets négatifs classiques touchant plusieurs éléments de l’environnement aussi bien physique que socio-économique. Outre les pollutions atmosphériques consécutives aux émissions de poussières, l’on notera également les nuisances acoustiques suite à la circulation des engins et à une éventuelle utilisation des explosifs sur certains passages rocheux. Les impacts sur les eaux et les sols pourront se manifester par leur contamination suite à d’éventuels accidents liés à l’utilisation de produits dangereux ainsi qu’aux rejets d’eaux usées et de déchets solides des chantiers.
Mais le plus important impact négatif à craindre sur le plan environnemental concerne la perte du couvert végétal et de la faune notamment au niveau du corridor Ankeniheny Zahamena. La forêt d’Anjozorobe risque également d’être touchée alors qu’elle est connue comme étant l’un des rares vestiges des massifs forestiers naturels d’Antananarivo, et dont l’importance du point de vue écologique n’est plus à démontrer. Il importe ainsi d’étudier scrupuleusement le tracé de la voie de façon à ce que l’impact néfaste sur ces zones forestières soit réduit à un niveau d’importance mineur. Une large concertation avec les populations locales et les acteurs œuvrant dans la protection de l’environnement s’avère indispensable, dans la mesure où ce projet risque de réduire à néant tous les efforts menés depuis de nombreuses années par ces derniers en vue de la conservation de la biodiversité dans cette Région.
Une autre facette à ne pas ignorer est le manque à gagner considérable pour les ménages dont les activités économiques dépendent étroitement du trafic routier tout le long de la RN2. Ils s’agissent en premier lieu des restaurateurs (hotely) et les vendeurs de « voan-dalana » dans les localités reconnues comme Marozevo, Antsampanana et Brickaville. La construction de l’autoroute pourrait entraîner un appauvrissement de ces familles si aucune mesure d’accompagnement n’est prise dans ce sens.
Enfin et pas le moindre, les expropriations seront inévitables pour cause d’utilité publique. Un vaste programme de compensations et d’indemnisation des Personnes Affectées par le Projet est donc à mettre en oeuvre impérativement et une bonne maîtrise des procédures d’expropriation est de mise.
Un système de péage
Pour le moment, aucun détail technique ni financier sur ce projet n’est rendu public, seule l’idée de péage est parue dans certains journaux mais dont la véracité reste à prouver. L’application d’un système de péage permettrait effectivement à l’Etat de se débarrasser des grosses charges financières liées à l’entretien de l’autoroute. Ce système a déjà fait ses preuves dans certains pays développés comme la France. Le péage sur l’autoroute devrait en même en temps permettre d’éviter l’abandon total de la RN2 par les automobilistes, beaucoup préférant toujours faire un voyage plus long mais « gratuit ».
Pour conclure, je suis d’un avis que Madagascar a réellement besoin de cette autoroute Antananarivo – Toamasina. Pour les autres axes, la voie ferrée doit être privilégiée, j’en ai déjà touché un mot dans le billet intitulé Antananarivo en 2050. Cette autoroute ne doit pas être source de division mais plutôt un facteur de rassemblement de la population malgache en général et de nos politiciens en particulier, au moins pour une fois pour soutenir un grand projet signe d’une vraie relance économique de la Grande île. Tout dépend toutefois de la capacité du gouvernement à bien communiquer sur les tenants et aboutissants du projet, à commencer par l’application d’une transparence totale quant à l’origine et les contreparties éventuelles de son financement.
Une réflexion au sujet de « Les enjeux de l’autoroute Antananarivo – Toamasina »