Madagascar regorge de nombreux joyaux encore très peu connus des touristes tant nationaux qu’étrangers. Cette situation s’explique surtout par le fait que la plupart de ces sites touristiques se trouvent dans des zones enclavées à cause des pistes d’accès qui sont totalement impraticables pendant une bonne partie de l’année. Mais cet enclavement pourrait également contribuer considérablement à la conservation de ces trésors naturels. C’est le cas de Bemanevika que je vous invite à découvrir à travers ce billet.
Bemanevika, conciliation entre conservation et développement
Pour aller à Bemanevika, il faut d’abord passer par la ville de Bealanana qui se localise à une centaine de kilomètres d’Antsohihy, la capitale régionale de SOFIA. Puis, à mi-chemin entre Bealalana et Bemanevika, on traverse le fokontany d’Amberivery qui se caractérise par la présence d’une rivière du même nom et dont la forêt de Bemanevika en est la principale source.
Cette rivière est à l’origine de la construction d’une pico-centrale hydroélectrique qui alimente en électricité l’ensemble du fokontany. Cette pico-centrale a été initié dans le cadre du projet MRPA avec l’appui financier du GEF/PNUD et en partenariat avec d’autres programmes comme Tany Meva et ADER. Le projet MRPA a eu pour objectif global la création de Nouvelles Aires Protégées de Ressources Naturelles Gérées dont l’une d’entre elle intègre le site de Bemanevika, tout en contribuant à la réduction de la pauvreté et à la croissance économique sur la base de l’utilisation durable des ressources naturelles.
L’eau qui vient de la forêt de Bemanevika produit donc de l’électricité par le biais de cette pico-centrale. L’argent obtenu grâce à la vente de cette électricité à tous les ménages du fokontany servira ensuite à financer certaines activités de conservation de la même forêt de Bemanevika. Il s’agit ainsi ici d’un exemple concret de PSE ou Paiements pour les Services Ecosystémiques ou Environnementaux.
Deux splendides chutes d’eau sur la route de Bemanevika
Juste à côté de cette pico-centrale se cache une superbe chute d’eau qui semble avoir été totalement inconnue des touristes. Aucun guide ne l’aurait jamais montré aux visiteurs pour la simple raison qu’un tel endroit a toujours été très respecté voire craint localement de par son caractère sacré.
A la limite de l’Aire Protégée de Bemanevika, l’on découvre une autre impressionnante cascade, située juste à quelques mètres de la piste. Cette chute de plusieurs mètres de hauteur crée un petit lac en aval avec une eau très limpide donnant immédiatement une grande envie de s’y plonger. Cet endroit étant également considéré comme sacré par la population locale, personne ne s’y serait jamais hasardée pour se baigner.
L’expérience d’une vie simple dans un campement
L’une des principales caractéristiques de Bemanevika, c’est que vous ne trouverez ici qu’un terrain de camping comme infrastructure d’accueil. The Peregrine Fund qui est l’organisme chargé de la gestion du site en collaboration étroite avec les communautés locales a installé son campement sur la rive droite d’une rivière.
Sur la rive gauche de celle-ci sont aménagés quelques emplacements de tentes pour les visiteurs. Vous dormirez donc ici tout simplement sous une tente au milieu d’un lambeau forestier et à proximité d’un cours d’eau. Une infrastructure sanitaire composée de deux cabines de douche et deux WC est disponible pour les visiteurs, mais sans eau courante. On utilise pour cela l’eau de la rivière.
Le campement dispose de quelques panneaux solaires et d’une antenne parabole Canalsat permettant à l’ensemble du personnel permanent du site de ne pas se sentir complètement isolé du monde extérieur.
Les plus beaux lacs de Madagascar ?
Bemanevika est composé de plusieurs types d’écosystèmes : forestier, savanicole et marécageux (lacs, marais, marécages). Mais ce sont essentiellement ses quatre magnifiques lacs qui singularisent ce site. Ces lacs permanents occupent une superficie d’une vingtaine à une soixantaine d’hectares. D’autres lacs temporaires d’une dizaine d’hectares y sont également recensés.
Situés respectivement à 10 minutes, 1h et 1h30 de marche à partir du campement, il faut parcourir une vaste savane puis une relique de forêt naturelle avant d’arriver au bord de ces lacs. Les circuits de Bemanevika n’offrent donc pas uniquement aux visiteurs l’opportunité de dénicher la biodiversité du site mais en même temps de pratiquer des randonnées au milieu de paysages divers et exceptionnels.
D’origine volcanique, chaque lac est en forme de cratère et s’entoure d’une forêt naturelle. Ce qui leur donne un charme original les différenciant des autres lacs volcaniques du pays. La forêt dense humide de Bemanevika recèle également des espèces floristique et faunistique endémiques comme les lémuriens.
Le seul lieu de nidification du ONJY, une espèce en voie de disparition
Les lacs de Bemanevika sont d’autant plus exceptionnels qu’ils façonnent un habitat unique assurant la survie du Fuligule de Madagascar. En effet, les lacs de Bemanevika seraient les seuls connus actuellement comme étant le lieu de nidification de cette espèce d’oiseau rare portant le nom scientifique Aythya innotata, plus connu sous son nom malgache de ONJY.
Cette espèce avait déjà été considérée par de nombreux ornithologues comme éteinte avant d’être re-inventoriée en 2006 à Bemanevika. La redécouverte inattendue de cette espèce a d’ailleurs été à l’origine du projet de conservation de ce site. Bemanevika fait maintenant partie intégrante du Complexe d’Aires Protégées Ambohimirahavavy Marivorahona.
Cette espèce d’oiseaux d’eau se révèle plus abondante dans l’un des quatre lacs portant le nom de « Matsaborimena ». The Peregrine Fund se sert ici en permanence d’une pirogue en fibre pour faire le tour de ce « lac rouge » durant les travaux de suivi écologique. Cette pirogue peut être occasionnellement utilisée par les visiteurs du site.
Bemanevika, un petit coin de paradis inaccessible
Une fois arrivé à Bemanevika, on se sent comme dans un petit coin de paradis encore préservé. Mais l’itinéraire pour y parvenir est un vrai parcours du combattant. Déjà, la route d’une centaine de kilomètres qui relie la ville de Bealanana à celle d’Antsohihy est non seulement étroite, avec des pentes très fortes et sinueuses mais se trouve aussi dans un état de dégradation avancé.
Malgré son statut à la fois de Chef-lieu Communal et de District, aucune rue n’est bitumée dans la ville de Bealanana, ce qui la classe parmi les villes secondaires les plus poussiéreuses et insalubres du pays. Bealanana figure pourtant parmi les premiers greniers à riz de Madagascar, d’où les tracteurs et les gros camions appartenant aux collecteurs des produits rizicoles qui y sont légion.
Si de nombreux taxis-brousse desservent quotidiennement la ville de Bealanana avec les autres grandes villes de Madagascar, seuls les véhicules tout terrain peuvent surmonter les embûches qui parsèment littéralement la route entre Bealanana et Bemanevika. Au moins trois heures et demi de temps sont dépensées pour faire ce trajet d’une quarantaine de kilomètres. Encore faut-il utiliser une voiture 4×4 robuste et un chauffeur expérimenté. Sinon, ce sont surtout les tracteurs qui assurent régulièrement la liaison entre ces deux endroits pour les transports des personnes et des produits agricoles.
Il s’agit en effet d’une piste rurale étroite en très mauvais état traversant successivement des cours d’eau, des savanes, des lambeaux forestiers, des villages, etc. L’accès est d’autant plus compliqué que le site de Bemanevika culmine à plus de 1400 m d’altitude. Vous pouvez ainsi imaginer facilement la forte déclivité de la route.
De mon point de vue, son isolement à cause de cet état désastreux de la piste d’accès a contribué à la conservation des écosystèmes et de la biodiversité très fragiles de Bemanevika en limitant naturellement le nombre de visiteurs. D’autant plus qu’aucun village n’est situé à proximité de ces lacs. Jusqu’ici, seuls donc les rares vrais «Birdwatchers», les touristes amoureux de la nature et/ou passionnés de découverte s’aventurent dans cet endroit.
Une arrivée massive des touristes près de ces lacs et dans ces forêts risque de perturber fortement cette biodiversité unique au monde. Certaines espèces animales comme les oiseaux du lac sont par ailleurs très sensibles aux pressions anthropiques. Cela fait partie des enjeux du développement de l’écotourisme à Bemanevika qu’il faut bien analyser avant de procéder par exemple à d’éventuels travaux d’aménagement de cette piste.