Situé dans la Région de Ihorombe dans le Sud de Madagascar, Ilakaka est considéré par de nombreux auteurs comme étant le plus grand gisement de saphir du monde. La découverte d’un saphir de qualité très rare par un paysan vers la fin des années 70 a été à l’origine de la création de la ville d’Ilakaka.
Dans cet article, je vous invite à comprendre la mutation spatiale, démographique et économique d’une zone minière informelle, caractérisée surtout par une urbanisation sauvage. Cet article est le fruit d’une analyse personnelle, d’observations directes sur site et de travaux cartographiques.
Une population multiethnique
La mine d’Ilakaka a toujours fait depuis sa découverte l’objet d’exploitation artisanale et largement informelle, d’où l’arrivée massive des migrants à la recherche de saphir. Il en résulte une explosion démographique avec comme corollaire une création et une extension à très grande vitesse de la ville.
Après ladite découverte, les bruits ont couru dans toute la Région puis dans tout le pays. Les gens sont ainsi venus de tous les recoins de la Grande île, qui pour devenir des mineurs, qui pour exercer d’autres métiers pour satisfaire les besoins de plus en plus élevés en produits de première nécessité, et autres produits de consommation de ces premiers.
La mine de saphir d’Ilakaka a entraîné la venue massive de jeunes mineurs venant des milieux ruraux mais aussi de nombreux autres centres urbains. L’afflux a été d’autant plus élevé que le taux de chômage a toujours été très élevé dans l’ensemble du pays.
Il en résulte une agglomération abritant une population à la fois multiethnique et multi professionnelle. Ce village qui a été censé être de passage ou seulement de lieu de vie temporaire est devenu un lieu de vie permanent pour de nombreux migrants. Ce processus d’urbanisation minière d’Ilakaka qui s’est déroulé de manière très rapide a donc généré une grande transformation à la fois démographique et socioculturelle au niveau de la zone.
Une économie informelle et instable
Les activités économiques, même si elles sont très variées, sont liées plus ou moins à l’exploitation minière. De nombreux migrants se sont enrichis grâce au saphir d’Ilakaka. Il est évident que l’urbanisation d’Ilakaka grâce à la découverte de la mine de saphir a permis le développement rapide de nouvelles activités économiques dans cette zone initialement complètement inhabitée.
Le système de production y a évolué au fur et à mesure que la ville grandit. Partie de pratiquement rien, la zone a connu une métamorphose progressive par l’apparition d’abord de petits boulots jusqu’à l’implantation de petites et moyennes entreprises voire de certaines grandes enseignes comme les distributeurs des produits pétroliers.
Outre les petits commerces, sont apparus de nombreuses autres activités économiques dont les transports. En effet, la présence des taxis a été l’une des plus grandes transformations économiques dans cette ville, dans la mesure où les va-et-vient des mineurs entre Ilakaka et les carrières sont fortement dépendants de ces moyens de transports.
A ces activités se sont ensuite ajoutés toute une série d’activités secondaires qui ont essayé de répondre aux besoins des mineurs que ce soit des besoins en nourritures ou des besoins en loisirs, ou encore et surtout en constructions. Actuellement, Ilakaka compte une multitude de boutiques, hôtels et restaurants, boucheries, pharmacies, ateliers, sans parler des maisons d’habitation, etc.
De manière générale, tout ce que les citadins peuvent trouver dans les grandes villes peut également être disponible à Ilakaka. C’est ce développement considérable des activités du secteur secondaire qui fait qu’on peut considérer Ilakaka comme un milieu urbain.
Toutefois, ces activités économiques qui sont très dépendantes de l’afflux d’argent issu des carrières se singularisent par leur forte instabilité́. D’où le sentiment d’incertitude pour beaucoup de petits entrepreneurs qui n’osent pas se risquer dans des investissements de longue durée.
Une urbanisation rapide incontrôlable
Ilakaka représente parfaitement l’exemple-type d’une ville issue de l’urbanisation minière. Elle résulte de la modification radicale de l’usage des sols, initialement savanicole vers un milieu urbanisé. L’un des premiers investissements des mineurs dans l’utilisation des leurs revenus miniers serait la construction de maison d’habitation. Même chose pour les acheteurs de saphirs dont nombreux sont des étrangers. Ces derniers ont financé la construction de nombreuses maisons de type contemporain qui colonisent l’espace de part et d’autre de la route nationale traversant Ilakaka.
Le processus d’urbanisation se déroule par l’accaparement progressif des terres pour la construction des bâtiments. Avant la découverte de saphir dans cette zone, seuls quelques huttes s’y étaient trouvées. L’implantation des nouveaux mineurs s’est accompagnée tout d’abord de la construction de maisons en bois ou de tout autres matériaux non durables. Une sorte de bidonville a occupée l’ancienne savane arboricole d’Ilakaka. Les premiers bâtiments en matériaux plus durables y ont ensuite vu le jour quelques années plus tard.
L’urbanisation est donc devenue incontrôlable, d’où la création de manière spontanée d’une grande ville désordonnée. Actuellement, l’habitat est formé par plusieurs types de maisons à Ilakaka. D’un côté, notamment à proximité immédiate de la RN7, l’on voit surtout des maisons en dur, voire de nombreux bâtiments à architecture contemporaine qui n’ont rien à envier des belles villas dans d’autres grandes villes du pays.
Par contre, les maisons en bois demeurent plus nombreuses et constituent même la grande majorité des habitations. Cette situation s’explique d’une part par le niveau des revenus relativement faible des habitants. D’autre part à cause de l’avenir trop incertain des activités d’exploitation minière les empêchant de faire de gros investissements sur leurs logements.
En termes de planification territoriale, rien n’a été fait jusqu’ici. Ilakaka ne dispose ni d’un plan d’urbanisme directeur, ni d’un schéma d’aménagement communal et encore moins d’un plan d’urbanisme détaillé. Depuis l’arrivée des premiers miniers jusqu’à maintenant, soit presque 40 ans, la transformation spatiale d’Ilakaka s’est déroulée sans aucune planification ni coordination de la part du pouvoir étatique. Mais une telle situation n’est malheureusement pas l’apanage d’Ilakaka. De nombreuses autres villes ont apparu et vont également apparaitre de cette manière si on continue de laisser faire.
Rasamy
P.S: Pour utiliser ces photos et cartes, prière de citer ce lien comme source: https://blogderasamy.com/2020/03/27/ilakaka-lexemple-type-dune-urbanisation-sauvage-induite-par-les-mines/