Ce billet résulte d’une visite que nous avons effectuée dans la Commune Rurale de Boanamary dans le cadre d’une étude en vue du développement de la chaine de valeurs soie sauvage de mangroves dans la Région de Boeny.
En quittant la ville de Mahajanga, si vous suivez la RN4 en direction de Tanà sur une distance de 18km, puis vous allez bifurquer à droite et suivre une piste d’une longueur de 18 km également, vous arriverez dans la Commune rurale de Boanamary.

Cette bourgade rurale, d’une population de 10.000 habitants, a été auparavant l’une des Communes rurales les plus industrialisées de Madagascar. Elle avait en son sein entre autres une usine de conserverie de viandes, un port en eau profonde et une grande cimenterie du groupe Lafarge. Malheureusement, de toutes ces infrastructures, il n’en reste plus que des ruines. Même l’ancienne belle route goudronnée pour y accéder est devenue difficilement praticable. Une vraie dégringolade, à l’image du pays tout entier.
Suite à la disparition de ces industries (la cimenterie a cessé de fonctionner depuis 2004), la population locale s’est tournée vers la pêche dans la Baie et surtout vers l’exploitation illicite des mangroves. D’où une forte dégradation de ce type de forêt et de sa biodiversité.

L’une des rares choses positives actuellement est le développement de la filière soie sauvage grâce à l’initiative d’une association des femmes. Eh oui, d’habitude dès qu’on parle de soie sauvage à Madagascar, l’on pense immédiatement à la forêt de Tapia dans l’Itasy ou à Amoron’i Mania sur les Hautes Terres malgaches. Peu de gens savent l’existence de soie sauvage de mangroves.
Boanamary, le centre de production de soie sauvage de mangroves dans tout Madagascar
La soie sauvage est un fil produit par une chenille séricigène appelée Borocera madagascariensis. De la famille de Lasiocapidea, cette espèce est endémique de Madagascar et elle colonise principalement les forêts de Tapia. La chenille est très nuisible par son action défoliatrice. Plus concrètement, elle consomme en abondance les feuilles des arbres de sa zone d’habitat.
Ici, il n’y a pas de forêt de Tapia, mais le ver à soie se développe en abondance sur les mangroves. Cette filière constitue une source de revenus secondaire pour plusieurs dizaines de ménages qui y interviennent depuis la collecte des cocons jusqu’au tissage en passant par leur transformation en fil de soie. L’atelier de tissage se trouve par contre à Mahajanga.

L’exploitation de la soie sauvage de mangroves par la collecte des cocons y datait au temps de la royauté pour alimenter les ateliers régionaux des Hautes Terres (Régions de l’Imerina et du Betsileo). Cette collecte fût abandonnée au milieu du XXè siècle pour se reprendre au cours des dix dernières années sous la conduite d’une association dénommée FEEM ou Femme Entrepreneurs et Environnement de Mahajanga.
Les cocons et les fils de soie sont les deux principaux produits destinés à l’exportation. Ils se démarquent sur le marché international compte tenu du fait de leurs caractéristiques très spécifiques.

Pour Boanamary, les sites de prélèvement se trouvent dans les ilots de forêts de mangroves appelés localement « Anosy » ou « Nosy lagera ». Le cocon se forme à une hauteur de 1m à 2m du sol. En conséquence, pour cueillir les cocons, on doit attendre que la marée soit basse pour accéder et se faufiler dans les arbres.
Ces sites sont plus ou moins éloignés des villages d’habitation. En moyenne, le ramasseur effectue des déplacements à pied et avec pirogue sur une distance d’une dizaine de kilomètres. C’est pour cette raison que les ramasseurs s’installent temporairement hors du village pendant la période de collecte pendant quelques jours. Il n’est pas rare que c’est toute une petite famille du ramasseur qui s’absente du village pendant ce temps.

De la récolte de cocons jusqu’au tissage
La filière « soie sauvage » pratiquée à Boanamary est caractérisée par un «circuit court». Elle se compose des grands segments suivants : le ramassage de cocons de soie ; la production et la vente de cocons ; la filature de fibres de soie ; le tissage et la transformation en produits finis.
La cueillette des cocons est conditionnée par le cycle biologique naturel de l’espèce. En effet, la formation de cocons débute à partir du mois d’avril après la ponte pour la Région de Boeny. Au bout de quelques mois, le cocon atteint une taille favorable à la vente et les ramasseurs s’autorisent à les cueillir. Généralement, les ramasseurs de Boanamary effectuent l’activité de juillet en octobre. Donc dans l’année, l’activité est pratiquée pendant près de 2 à 4 mois.

La vente des cocons est précédée de la préparation et de tri des cocons récoltés. L’opération post-récolte immédiate consiste à enlever les glandes qui enveloppent le cocon. Après, on sépare les produits en deux groupes : le cocon sans chrysalide et le cocon avec chrysalide. Ces deux types de produits sont vendus à des prix différents. Soit 20.000 Ariary le Kilo pour le premier contre 5.000 Ariary pour le second.

Quant à la filature, les fileurs sont tous constitués de femmes. Elles sont regroupées au sein d’une association par Fokontany. On compte une dizaine de fileuses par Association. Le critère de bonne qualité du produit est l’épaisseur du fil. Plus le fil est très fin, meilleure sera sa qualité, donc il se vend plus cher.
L’opération consiste à détacher le fil de la bobine naturelle et l’enrouler après. Généralement, une fileuse a la capacité de produire 1 à 2 Kg de fils par mois. Le fil très fin peut être négocié à raison de 60.000 Ariary le kilo contre 10.000 Ariary pour le fil de basse qualité.

Pour le tissage, le produit final du tisseur est un panneau de tissu de soie. Les intrants indispensables se composent de la teinture naturelle et bien évidemment les fils de soie. Les tisserands sont à Majunga, mais ils s’approvisionnent auprès des filateurs de Boanamary.
Concilier développement économique et préservation des ressources
La promotion de la chaîne de valeur soie sauvage des mangroves pourrait être considérée comme des activités génératrices de revenu pour les ménages riverains des forêts de mangroves en complément des activités principales que ces derniers exercent (agriculture et pêche). Cette promotion peut constituer une stratégie pour la conservation de l’écosystème de mangroves.

Les ramasseurs de Boanamary ont déjà reçu des formations sur l’importance de la préservation de l’espèce de soie sauvage s’ils veulent pérenniser de manière durable l’activité de collecte. En ce sens, les chrysalides vivantes récoltées sont nourries et retournées dans les forêts de mangroves en vue de repeuplement.
Telle pratique est en vérité très favorable dans la mesure où la consommation de la larve ne fait pas du tout partie des habitudes alimentaires des populations locales. Ces dernières ne se sont pas intéressées à ces espèces, compte tenu de l’abondance d’autres ressources alimentaires telles que les crustacés et les poissons.

Grâce à cette chaine de valeurs soie sauvage de mangroves, l’on assiste donc non seulement à l’amélioration des conditions de vie des ménages pratiquants mais aussi à la préservation des ressources naturelles.
Il s’agit ainsi d’un autre moyen pour concilier le développement socio-économique et la conservation de la biodiversité. Sa vulgarisation à l’échelle régionale voire nationale s’avère nécessaire. Certains organismes s’y attèlent déjà à l’instar du GIZ à travers le programme PAGE.
Une réflexion au sujet de « Soie sauvage, un moyen pour préserver les mangroves de Madagascar ? »